Souvenirs d'Estuyade
Deux enfants sur un portail vert bouteille, vêtus des mêmes pantalons côtelés violet foncé et pulls en mailles fines bleu ciel avec des boutons sur l'épaule. L'aîné, blond, assis à califourchon ; le plus jeune, brun, dressé sur ses mains à l'arrière.
Derrière eux, l'allée se dirige vers une glycine couvrant une pergola de béton peinte en blanc. J'y marche en dessous avec des échasses, grands bâtons verts encore, que l'on glisse sous les bras après avoir placé les pieds sur de petites plateformes au quart de la hauteur. Il faut alors, en équilibre, tirer alternativement sur chaque bras pour avancer.
Puis les portes du garage, du même vert, dont chacun de la demi-douzaine des montants est percé de quatre grands carreaux aveugles.
Ce jour-là, mon orgueil de petit garçon
a caché ma souffrance aux autres enfants.
La maison est ainsi faite, telle que l'a imaginée l'architecte dacquois René Guichemerre, toute de béton peint en blanc, les huisseries en bois naturels, les volets et les portes de moindre usage peints en vert. La bâtisse principale et le garage, accolés, sont des parallélépipèdes aux toits plats. La seconde partie est surmontée d'un toit à une seule pente couvert de tuiles en terre cuite. Je longe le garage par une petite allée bétonnée entre le mur et le grillage donnant chez les voisins.
Je me souviens de m'être balancé sur leur immense balançoire, d'avoir sauté et de m'être mal rattrapé. Ce jour-là, mon orgueil de petit garçon a caché ma souffrance aux autres enfants.
L'allée se termine par un petit cul-de-sac, tout droit, bordé d'une rangée de framboisiers où nous allons picorer les fruits entre deux ramassages organisés pour les confitures.
Peu avant, elle s'ouvre sur des graviers qui s'étendent entre la maison et le potager. Des allées, encadrées par de petites lisières de béton, séparent ce jardin en quatre espaces dont un seul est encore utilisé par mon grand-père. Il y cultive des asperges dans un sol sablonneux gris. A côté des tiges et des cladodes préparant la saison suivante, nous cherchons les craquelures dans les longues buttes qui annoncent la sortie du légume nacré. Il faut toute la science de Bon-Papa pour ramasser les turions au moment où ils sont les plus tendres.
Au fond à gauche, la remise de jardin est de la même facture que la maison : béton blanc et porte en bois peinte du même vert. Les outils de jardins s'y entassent et les étagères sont couvertes de fioles en plastique contenant liquides et poudres. L'espace est assez grand pour que l'on puisse s'y réfugier, avec un brin d'appréhension de s'y trouver enfermé.
Perpendiculaire à la première, une grande allée parcourt le fond du jardin jusqu'au compost à ciel ouvert, un immense tas de végétaux en décomposition. Repoussant et fascinant, derrière un haut muret en béton gris et quelques thuyas, il est gardé par d'effrayantes guêpes.
En reculant de quelques pas, on emprunte l'allée permettant de retourner vers les graviers. Sur la droite alors, la fenêtre de la cuisine sous laquelle s'étale un immense hortensia sur un petit carré d'herbe.
En face, une grande terrasse couverte, aux mêmes formes géométriques que la maison, sur laquelle donne la porte de la cuisine.
On s'y retrouve pour les repas en famille autour de la cuisine de ma grand-mère : le gaspacho, l'omelette aux girolles ramassées sous les pins... et son célèbre foie gras fait maison. Pourtant, Mamette n'est pas landaise mais elle s'est adaptée aux produits de la famille paysanne de son mari.
On termine par une tourtière achetée dans une boutique dans laquelle la pâte est étalée sur de grandes tables afin d'être rendue la plus fine possible.
On entre alors dans un autre monde à l'avant
de la maison, celui de l'herbe parsemée de muscaris
à l'ombre de quelques arbres.
Je poursuis mon chemin le long de la clôture de l'autre voisin, par une allée de graviers bordée de rosiers qui longe les fenêtres des chambres et se termine par un portillon de bois vert. Pour les courses autour de la maison, il a été ouvert puis plus tard, un obstacle à franchir. On entre alors dans un autre monde à l'avant de la maison, celui de l'herbe parsemée de muscaris à l'ombre de quelques arbres.
C'est un havre de paix peu fréquenté. L'herbe est grasse, douce et fraîche.
Là s'ouvre la porte-fenêtre du bureau.
Le muret qui longe la route me ramène au bosquet creux, au bord de l'allée, notre cabane naturelle. A deux pas, se dresse un mimosa dont les senteurs nous enivrent dès la fin de l'hiver.
Le tour de la maison se termine par la porte d'entrée et surtout la terrasse sur laquelle donne la porte fenêtre du salon. A ciel ouvert, elle est faite de pierres plates entourées de joints larges. J'y passe des heures à jouer aux petites voitures, parcourant cet immense entrelacement de routes imaginaires.

J'ai rouvert l'Histoire thermale de Dax de Ramón Monzon.
Au-dessus de la dédicace de l'auteur, j'y ai trouvé cette photo de deux enfants, mon petit frère et moi, sur le portail vert de l'Estuyade, la maison de mes grands-parents maternels.
